lundi 3 novembre 2008

Cultural Facts #8: la campagne

Dans quelques heures, se jouera dans les urnes bien plus que le sort de l'Amérique. Beaucoup d'entre vous m'ont déjà demandé comment je vivais la campagne "de l'intérieur", comment se préparait le pays, ce que je pensais de tel ou tel candidat..., mais je n'ai pas encore écrit sur ce qui a été la plus longue campagne présidentielle de l'histoire. Il me reste encore quelques heures pour synthétiser les nombreuses pensées que m'ont inspiré ces derniers mois, en espérant ne rien oublier et surtout rester le plus clair possible.


  • Un glissement progressif dans les sujets "chauds"
Au début de la campagne, LE sujet important était la guerre en Irak. C'était le point central du discours de Barack Obama lorsque j'ai eu la chance de le voir l'an dernier à San Francisco, et déjà la matière à confrontation ne manquait pas. A un McCain qui l'accusait d'avoir voté contre "the surge", la stratégie d'envoi de renforts lancée en 2007 et qui semble porter ses fruits, Obama répondait que lui avait voté contre la guerre depuis le début et que si on l'avait écouté, surge ou pas surge, l'Amérique se porterait mieux à l'heure actuelle.

Au printemps dernier, la flambée des prix du pétrole a un peu occulté la situation en Irak pour devenir le sujet de prédilection des candidats, qui ont encore pu se départager sur le diagnostic et les solutions proposées. Ce fut un peu le "moment écologique" (sic) de la campagne, avec l'évocation de problèmes techniques comme le réchauffement climatique, et plus philosophiques comme le mode de consommation. Bien-sûr, tout cela n'a pas été sans un florilège d'interventions démagogiques sur lesquelles je reviendrai.

Depuis la fin de l'été, vous l'avez tous suivi, c'est la crise économique qui s'est imposée à McCain et Obama et les a forcés à adapter leurs agendas et programmes respectifs. De la mise sous tutelle de Bear Stern au "bailout plan" en passant par le sauvetage de Fanny Mae et Freddie Mac ou encore la faillite de Lehman Brothers, la situation de l'économie américaine s'est enfoncée dans un capharnaüm complet pour aboutir à un recul du PIB au 3e trimestre 2008. Là encore les deux candidats ont proposé des solutions divergentes pour sortir de l'ornière.

Enfin, la question de la sécurité sociale a été une sorte de fil rouge tout au long de cette campagne, sans jamais s'imposer comme la priorité numéro 1 ni de McCain ni d'Obama, mais sans jamais non plus quitter le champ du débat.

  • Les ressorts de la campagne : démagogie, peur et mensonge
C'est ce qui m'aura le plus dégoûté au cours des derniers mois, qui me laissent l'impression rance d'une campagne de caniveau. A ce petit jeu, disons-le d'emblée, c'est McCain qui remporte toutes les palmes, celles de la méchanceté, de la bêtise, de la démagogie et de l'hypocrisie.

La démagogie rampante a atteint son paroxysme dans les publicités proprement scandaleuses qui sont le fait des deux partis - ne nous leurrons pas - mais principalement celui du "GOP", le "Great Old Party", ou parti républicain. Toutes ces publicités sont disponibles sur Youtube ou sur le site de McCain et je vous laisse le soin de les visionner. En toute impartialité, il faut reconnaître que si Barack n'est pas exempt de tous reproches (je me répète), ses publicités sont le plus souvent "positives" en ce qu'elles avancent des idées et proposent des solutions. Notre bon vieux McCain a apparemment moins d'idées à présenter, puisque 75% (au moins) de ses annonces sont "négatives", s'appliquant à détruire l'image d'Obama et à instiller la peur à son sujet.

Démagogie et peur, donc, étayés par les mêmes mensonges et emprunts de la même bêtise.

S'agissant de l'Irak, il est très facile pour McCain d'exciter la fibre patriotique de sa base républicaine en présentant Obama comme un non-patriote, quelqu'un qui vote contre le financement des troupes et qui ne met pas sa main sur le coeur lors de l'hymne national. Certes, il est moins facile d'admettre que la guerre en Irak était une erreur monumentale et que le coeur du problème se situe en Afghanistan...
Concernant le problème du pétrole, quoi de plus facile que de faire passer Obama pour un fou qui refuse d'autoriser les forages offshore alors que les prix s'envolent, et pour un élitiste fortuné qui méprise les petites gens en refusant de baisser les taxes sur l'essence le temps de l'été pour leur permettre de partir en vacances ? Ben oui John, c'est facile, mais ça n'est pas comme ça que ça marche, et je me félicite qu'Obama n'ait pas cédé à la démagogie sur ce point.
Quant à l'économie, la position d'Obama est du pain béni pour un McCain dont le gosier s'irrite à la simple prononciation du mot "tax" : ben oui, baissons les taxes, surtout celles des plus riches, et ça aura forcément des effets bénéfiques pour tous ! Et regardez-bien Obama, et prenez-peur : il augmentera les dépenses et avec elles les impôts, et on va encore vous piquer votre argent. C'est un raisonnement de niveau CE1, mais ça suffit pour encore une fois énerver l'américain moyen, élevé dans la détestation des impôts et du gouvernement. Sans oublier l'apparition au coeur du débat de l'inénarrable "Joe le plombier", qui d'ailleurs n'est ni Joe ni plombier, pantin providentiel grâce auquel le clan républicain a produit des trésors de démagogie ces dernières semaines. Ne nous arrêtons pas en si beau chemin, le tableau n'est pas encore complet !
La sécurité sociale, en effet, permet à McCain de sortir son joker, le mot magique de "marché" : laissons le marché s'occuper de la sécu, et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. Hum... Là encore cette prose plaît bien à l'américain moyen, qui apprend à dire que le marché est la solution miracle à tous les problèmes avant même d'apprendre à compter. Sauf que si vous avez bien suivi, même Alan Greenspan (l'ancien directeur de la banque fédérale) a admis récemment qu'on "avait coupé la main invisible" chère à Adam Smith et que l'histoire des marchés qui s'autorégulent a fait long feu...

Dans tous les cas, donc, McCain a montré ses gros bras et fait le dur en disant, avec le ricanement bonhomme et condescendant de l'Ancien, qu'en temps de crise l'Amérique a besoin d'un leader, un fort, un vrai, et que lui en a vu d'autres : typiquement ce qu'on aime entendre au pays de l'Uncle Sam...

Mais comme s'il ne suffisait pas d'utiliser la démagogie pour discréditer l'adversaire, il a fallu faire appel au mensonge pour le diaboliser. C'est là que mon agacement a fait place à quelque-chose se rapprochant de la pitié... Des insinuations sordides sur le deuxième prénom d'Obama (Hussein...) à ses prétendus liens avec des terroristes, les ragots les plus ignobles et les plus stupides - surtout ceux-là, d'ailleurs - ont été colportés à grands renforts de spots télévisés. Il est vrai que 17% des américains ruraux croient qu'Obama est musulman et que la question raciale se pose fatalement dans cette élection. Pas compliqué de faire prendre la mayonnaise, vue la stupidité bovine ambiante...

Enfin j'ai parlé d'hypocrisie : lors du troisième et dernier débat entre McCain et Obama, en effet, il a été demandé aux deux candidats s'ils oseraient répéter en face de l'autre tout le mal que leurs annonces télé peuvent en dire. Les deux ont esquivé la question, mais McCain a tout de même eu le culot d'accuser Obama des torts qu'il était difficile, en toute objectivité, de lui pardonner : mensonge, démagogie, mépris et manque de respect. J'ai bondi hors de mon fauteuil, car là c'en était trop.

J'ai donc vu une ambition unique chez McCain : tout faire pour décrédibiliser Obama, quitte a reléguer au second plan l'élaboration d'un programme solide et satisfaisant. Quand est arrivée la crise, fin août dernier, l'incompétence du candidat républicain en matière d'économie est devenue criante et il s'est retrouvé comme une guêpe énervée, à virevolter dans tous les sens sans trop savoir quoi faire pour résister à la vague Obama. Heureusement le pays dans son ensemble ne s'y est pas trompé, qui a jugé la campagne de McCain plus "négative" que celle d'Obama à deux contre un environ. Malgré cela les attaques ont continué de fuser, car elles sont le fonds de commerce d'une campagne républicaine fébrile sur le plan des idées.

  • Une puérilisation de la vie politique pour un public passif
Je me souviendrai toujours de l'étudiante de Harvard avec qui j'avais discuté en juillet à Boston et qui m'avait lancé cette phrase, terrifiante : "Americans don't care about politics, as long as you keep them fat and happy" (les américains se foutent de la politique, du moment que vous les laissez gros et contents)... C'est bien là le problème principal de l'Amérique, celui qui fait qu'on peut voir une telle débauche de démagogie sans que personne ne s'en émeuve : la majorité des gens au mieux n'y comprend rien, au pire s'en fiche.

Après les deux mandats catastrophiques de Bush, le pays est en fâcheuse posture. Le contexte fortement complexe et incertain ne vient rien arranger : j'ai l'impression que la majorité est incapable de penser les évènements actuels, et qu'une autre bonne partie est désabusée par le fait politique. Tout cela ouvre un boulevard à la démagogie et aux fausses solutions dont j'ai déjà parlé. Signes des temps, les bonnes vieilles sirènes nationalistes et protectionnistes commencent à se faire réentendre, laissant deviner le spectre inquiétant des démons du passé.

Forcément, je vais encore m'en prendre à McCain: ce dernier essaie par exemple depuis le début de vendre au monde entier sa soi-disant expérience en matière de politique internationale. Here's my answer, white-hair dude :
- Comme me l'a très justement rappelé Michael Klare, spécialiste en géopolitique avec qui j'ai eu la chance de dîner récemment, McCain s'y connaît autant en politique étrangère que moi en biniou. Il sait juste comment s'y prendre pour taper sur l'ennemi, ce qui n'est déjà pas si mal, mais reste insuffisant : pas besoin d'avoir fait Sait-Cyr pour savoir que la diplomatie ne se limite pas à distribuer des coups de bâton.
- L'Irak après le Vietnam, McCain en effet ne manque pas de crédibilité. Comme si ça ne suffisait pas, ses conseillers ajoutent du haut de leurs succès une touche d'expérience en la matière, avec notamment Randy Scheunemann, Robert Kagan ou Bill Kristol, piliers du Project for a New American Century, le think-tank néoconservateur à qui l'on doit la paternité de la guerre en Irak et de pas mal d'autres doctrines de la même veine. Faut-il encore en rajouter ?

Par ailleurs Sarah Palin, dont le choix est d'ores et déjà une erreur historique pour les républicains, a réussi le tour de force de faire passer Ségolène Royal pour une érudite. On peut être d'accord ou pas avec ses valeurs, il n'y a rien à dire sur ce point. Mais s'enthousiasmer pour cette créature malgré son incompétence abyssale et son ignorance crasse des réalités les plus élémentaires de la politique est d'une complaisance coupable. Ne serait-ce que par respect de soi et des autres, on n'essaie pas de faire croire que l'on peut diriger les Etats-Unis grâce à son expérience de maire de Wassilla ou même de gouverneure d'Alaska cuisinée à la sauce "Maverick - Hockey Mom". Quoi qu'il en soit c'est désormais une star et le costume à la mode cette année pour Halloween, c'était bel et bien Sarah Palin !

Un dernier point : le ticket républicain n'a pas manqué de monter du doigt l'éducation d'Obama, comme pour mieux le dénigrer. Eh oui, Obama a fait Harvard. Excusez du peu. Mais c'est forcément louche pour un peuple qui se nourrit de sa détestation de l'élitisme démocrate de la côte Est. Dans la course à la présidence du pays qui se targue d'accueillir les universités les plus prestigieuses au monde, les non-diplômés se sont vanté de leur ignorance quand l'avocat d'Harvard s'est retrouvé au banc des accusés. La situation serait cocace si elle n'était pas aussi grave et révélatrice d'un profond malaise. Si elle ne montrait pas que quand même, aux Etats-Unis, on prend vraiment les gens pour des cons...

  • Conclusion
J'ai noté peu de points positifs dans cette campagne qui m'a autant déplu qu'effrayé. Seul l'humour omniprésent, grâce à des émissions comme Saturday Night Live sur CNN, apporte une note de gaieté - ainsi que les gaffes de Palin, il faut bien le dire.

Dans l'ensemble j'ai donc été très déçu : déçu par le manque de profondeur des deux candidats, puis par le tour démagogique et mensonger qu'a pris la campagne. Déçu également par le peu de cas qui est parfois fait de la fonction politique, spécialement du côté républicain. Attristé, enfin, par le sort du peuple américain, floué par un système qui a bien du mal à maîtriser le cours des évènements.

J'ai compris que ces caractéristiques provenaient pour partie de l'ignorance, pour partie d'un désanchantement généralisé. Comme me l'expliquait récemment Jérôme au téléphone, même les "élites" semblent parfois désabusées ou résignées et se replient dans l'individualisme. Les perspectives sont bien sombres.

N'empêche, demain sera un jour historique. La participation devrait être bien supérieure aux chiffres habituels (environ 50%). Des millions d'électeurs attendent beaucoup de cette élection et se déplaceront en masse.

Pour ma part, je ne m'en suis jamais caché, je voterais Obama si je le pouvais.
Mais pas forcément pour ce que vous croyez.
Pas parce que je vois en lui un Messie capable de tout changer. Je m'attends à une énorme désillusion s'il est élu, car l'engouement un peu irrationnel dont il est l'objet va vite disparaître lorsque beaucoup réaliseront qu'on a attendu de lui beaucoup plus que ce qu'il était capable d'offrir.
Pas parce que je pense qu'il est le meilleur. Son manque d'expérience est criant, j'en suis conscient. Je préfère ses idées à celles de McCain, mais rien ne dit qu'un autre démocrate, avec les mêmes idées, ne soit pas plus expérimenté.
Alors, pourquoi ?
Parce qu'il souhaite réellement unifier le pays.
Parce que sa jeunesse incarne réellement l'avenir, et qu'en ces temps troublés le meilleur président sera celui qui sera le plus capable de questionner ses certitudes et de bouleverser ses convictions. En ce sens Obama est le meilleur passeport pour le futur.
Mais ce n'est pas tout. Il y a aussi une dose de mystique dans tout cela.
Parce qu'Obama est une icône. Le point de repère que cherche l'Amérique, dont l'élection signifierait qu'elle a (au moins en apparence) retrouvé ses valeurs, celle d'un pays où tout est possible, qui transcende les origines et les conditions pour faire sortir de chaque homme ce qu'il a de meilleur.

L'Amérique va en décider aujourd'hui (car à l'heure où je termine, nous sommes déjà le 4 novembre). Aujourd'hui est sûrement la première fois où j'ai confiance en l'Amérique.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Totalement d'accord sur l'ensemble des points; Il y a plus d'avenir en Obama qu'en Mc Cain mais ceux qui croient naïvement que Obama va changer radicalement la politique américaine sont les mêmes que ceux qui croyaient que Kennedy changeraient le monde. Les lobbys resteront tout puissants, la politique corrompue et les américains moyens incapables de comprendre quoique ce soir à ce qui se passe dans leur pays...