Après la chronique politico-environnementale ou le compte-rendu de concerts, je me lance aujourd'hui dans la critique littéraire. J'ai fini hier soir un livre que j'avais commencé il y a quelques semaines, American Vertigo de Bernard-Henri Lévy (oups !! un joli petit tremblement de terre au moment où j'écris cette phrase)
Pour ceux qui ne connaîtraient pas, il s'agit d'un ouvrage que BHL a écrit sur "commande" d'un journal américain, l'Atlantic Monthly, qui lui a proposé de refaire le voyage qu'Alexis de Tocqueville avait effectué vers 1830 suite auquel il avait écrit son oeuvre maîtresse, De la Démocratie en Amérique. L'idée était d'interroger l'Amérique d'aujourd'hui, celle qui depuis la guerre en Irak occupe une place particulière dans l'inconscient collectif et constitue une "matrice de passions et de phobies" qui alimente le débat public. Le livre est paru en 2006 et un film, tourné pendant le voyage, est sorti en juin dernier.
L'objectif était de dépasser le discours vulgaire et racoleur de l'antiaméricanisme à la française, et c'est sans doute ce qui m'a poussé à le lire - outre le fait que l'idée me plaisait d'avoir une vision "française" des Etats-Unis à laquelle je pourrais comparer ma propre expérience. Après une première partie (3/4 du livre) où il relate ses expériences au jour le jour, BHL synthétise son année passée au Etats-Unis en s'interrogeant sur l'identité américaine, la question du terrorisme et la "rage de l'amérique" que constituerait le tryptique fondamentalisme - néoconservatisme - impérialisme : comme ça, ça a l'air intéressant. Hélas, j'ai été assez déçu. Peut-être parce-que je n'avais jamais lu celui que les américains appellent le "rock-star philosopher" et que je ne savais ni à quoi m'attendre, ni ce qui lui vaut cette réputation sulfureuse ; mais après la lecture de l'article Wikipédia qui lui est consacré, j'ai compris que ce livre était un condensé de tout ce pourquoi il est habituellement critiqué.
La plume, tout d'abord. BHL fait virevolter les mots dans des phrases à rallonge, parfois d'une page, donnant à l'ensemble un caractère ampoulé, prétentieux et finalement illisible. La logorrhée boursouflée et le foisonnement d'effets de style masquent souvent mal la faiblesse de l'argumentation. Lorsque BHL essaie de faire passer une idée pas forcément consensuelle (ex : les néoconservateurs ont peut-être fait des conneries, mais ils ne sont pas cyniques pour autant), il dégaine sa rhétorique habituelle : une série de concessions (certes, patati patata ; certes, machin truc ; d'accord, blablabla) ; puis un petit "n'empêche" ou "mais quand même" ; et enfin une enfilade d'interro-négatives censées emporter l'adhésion du lecteur et qui permettent habilement à l'auteur de faire l'économie d'une argumentation périlleuse. A la longue c'est juste fatiguant sans être franchement convaincant.
La méthode, ensuite. C'est là que se concentrent les critiques américaines et je les rejoins. Il est navrant de constater que BHL a passé un an à voyager dans une voiture avec chauffeur et à dormir dans des hôtels. Son voyage s'est limité à visiter en toute hâte des lieux communs conforme à l'image d'Epinal qu'ont les français des Etats-Unis : les Amish, les églises pentecôtistes, les centres commerciaux gigantesques, Las Vegas, Guantanamo, tout cela offre des indices sur ce qui se passe en Amérique mais ne constitue pas l'alpha et l'oméga de la société américaine. Les personnes rencontrées (écrivains, magnats de la finance, artistes, intellectuels, politiciens...) ne sont pas spécialement représentatives de l'Amérique vernaculaire supposément étudiée.
Je ne vis ici que depuis moins de deux mois mais je n'ai pas compté le nombre de fois où j'ai trouvé flagrant le fait que BHL livrait le récit d'un touriste, et passer un peu plus de temps pour vivre aux Etats-Unis aurait sensiblement modifié sa perception.
[Je reprends le lendemain - c'est confirmé, le tremblement de terre était de magnitude 5.6 avec un épicentre à 10 bornes d'ici environ]
Les conclusions, enfin. En théorie, la partie la plus intéressante du livre où les expériences accumulées et les témoignages recueillis en un an convergent vers une vision cohérente et des réponses pratiques aux questions récurrentes que l'on se pose sur les Etats-Unis : quelle est l'identité d'un pays où les "blancs" ne seront bientôt plus que l'une des minorités ? que penser de la laïcité alors que l'on peut lire In God we Trust sur tous les billets de banque, que le Président prête serment sur la Bible et qu'il ponctue tous ses discours d'un God bless America ? peut-on accepter le fondamentalisme religieux de ceux qui voudraient voir le créationnisme mis au même plan que le Darwinisme ? qui sont les néoconservateurs ? l'Amérique est-elle impérialiste ?
C'est là que j'ai été le plus déçu ; en effet si j'étais grossièrement d'accord avec les observations faites dans la première partie, si je n'aurais rien à objecter à ce qui est dit sur l'immigration à la frontière mexicaine, l'obésité - ou plutôt le mythe de l'obésité, car on ne voit pas tellement plus d'obèses ici qu'en France, l'obsession sécuritaire ou l'exubérance gay de San Francisco, je suis tombé de haut en lisant cette dernière partie.
Je ne vais pas me lancer dans une explication de texte histoire d'abréger, mais l'idée c'est que BHL tire de grandes conclusions à partir de pas grand chose en invoquant des références pas toujours pertinentes. Son travail, soi-disant dans les traces de Tocqueville, n'a ni la justesse ni la hauteur de De la Démocratie en Amérique et semble plutôt fait pour flatter l'ego hypertrophié de celui que Renaud appelle l'Entarté. Un concentré de prêt-à-penser dans un journalisme faussement philosophique qui aboutit à un résultat décevant.
En bref, si vous voulez en savoir plus sur le fonctionnement d'une Amérique qui nous est mystérieuse et qui déchaîne les passions, lisez plutôt Tocqueville, aussi populaire ici qu'il est ignoré en France. Un autre ouvrage traitant de la question de l'impérialisme américain, bien plus sérieux que les quelques pages consacrées à ce sujet par BHL, serait Après l'Empire d'Emmanuel Todd. Dans tous les cas évitez American Vertigo, le livre comme le film qui apparemment est aussi décevant.
mardi 30 octobre 2007
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2 commentaires:
Superbe critique, mais le plus beau décolleté masculin du parisianisme mondain va-t-il s'en offusquer ?
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François
je sais pas, faudrait peut-être que je rajoute un coup de tarte à la crème ?
en tout cas je préfère le décolleté d'Arielle ! :)
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