Samedi
J'ai emmené mon vélo dans le train pour m'offrir une petite traversée de San Francisco et visiter le coeur du quartier hippie, qui se trouve le long de Haight Street (dans le quartier qui s'appelle Lower Haight). C'est à mon goût l'un des plus beaux coins de San Francisco et son ancienneté contribue à son cachet puisqu'il a résisté au tremblement de terre de 1906, et surtout aux incendies qui ont suivi. Originellement bourgeois, Lower Haight est tombé en déshérence dans les années 50 quand ses habitants l'ont quitté pour des quartiers plus récents. Il est donc devenu abordable pour le milieu idéaliste, artistique, toxico et fauché qui a commencé à investir ces jolies maisons en bois du XIXe.
Le quartier est rapidement devenu le paradis de la marijuana et du LSD, et a tout d'abord été le berceau de la Beat Generation, ce mouvement littéraire lancé par Allen Ginsberg et Jack Kerouac, dont le roman Sur la route fut la bible.
Un peu plus tard, il a vu naître des groupes de rock psychédélique (le mot a été inventé pour l'occasion) comptant parmi les plus grand de l'époque : Jefferson Airplane, the Grateful Dead, Janis Joplin... Les membres de ces groupes, ainsi que d'autres comme Jimmy Hendricks, habitaient un petit périmètre centré sur l'intersection Haight-Ashbury. Le carrefour est donc resté mythique et on continue à le vénérer.
En 1967, après le Human Be-in de janvier, les médias ont commencé à s'intéresser à la vague culturelle qui soulevait le quartier ce qui a provoqué un afflux massif de plus de 100000 jeunes venus du monde entier. Au printemps a lieu le festival de musique pop de Monterey (où je suis passé durant mon road trip) qui a véritablement lancé Janis Joplin. C'est d'ailleurs pour la promotion de ce festival que le chanteur des Mamas and the Papas a composé San Francisco, chanté par Scott McEnzie, qui est devenue l'hymne du Summer of Love. En juin sort l'album des Beatles Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band qui a également beaucoup contribué au mouvement - notamment la chanson All you need is love.
Une vidéo mythique de Janis Joplin interprétant un époustouflant "Ball and Chain" à Monterey :
Le Summer of Love, cette grande concentration hippie, a duré tout l'été dans le quartier ainsi que dans le Golden Gate Park tout proche. Les trois piliers du mouvement étaient free food, free drug and free love, et les hippies vivaient dans des conditions d'hygiène déplorables. L'apogée du mouvement hippie sera atteinte deux ans plus tard lors du festival de Woodstock.
Aujourd'hui les hippies ont quasiment disparu, mais le quartier est encore marqué par ce qui s'y est passé. La population est très baba-cool et le quartier a l'air d'être en constante ébullition : la vie culturelle et nocturne y sont très développées. Le long de Haight Street on trouve des disquaires, des libraires (ce qui est rare), des magasins de fringues indépendants, ce qui crée une ambiance autrement différente que les magasins de chaînes de la rue de Rivoli. Il y flotte un doux parfum de nonchalance et d'insouciance, et surtout de marijuana, quand on passe devant les quelques magasins spécialisés !
Direction le Golden Gate Park, le grand parc de San Francisco (plus grand que Central Park !), où se tient le festival Hardly Strictly Bluegrass, le Bluegrass étant une base de folk-country avec des touches bluesy ou rocky - à la Bruce Springsteen ou Dire Straits. J'y vais avec Justine - la coloc de Julie, son éminence Harry, et Zena, une copine chypriote. Ca doit être la première fois que je sors sans français !
C'est dans ce même parc que le 14 janvier 1967, un grand rassemblement de hippies appelé Human Be-in a lieu, prélude au Summer of Love. Il s'agit d'un "gathering of the tribes for a Human Be-in" où des écrivains, des poètes et les groupes de rock psyché se rassemblent dans l'après-midi pour des concerts et des lectures. Depuis on ne cesse de le célébrer et une fête de comémoration a lieu tous les ans.
Enorme choc par rapport aux orgies des festivals français ! Une ambiance "Peace and Love", pas besoin de se battre ni de se faire broyer pour avancer, des gens très calmes, assis par terre, pas de mégots ni de déchets ni de bouteilles qui trainent, bref, un civisme étonnant. Un peu partout, des hippies attardés dont les rides et les cheveux blancs nous disent qu'ils étaient vraisemblablement là en 1967. Ils trainent l'air hagard, un peu désabusé, nostalgiques, cherchant sans doute à retrouver le parfum de leur jeunesse - mais les arômes doivent être tellement galvaudés...
Il est d'ailleurs curieux de constater la différence entre le San Francisco des années 60 et celui d'aujourd'hui. Alors que c'est ici que sont nés deux mouvements culturels majeurs, ici (et à Berkeley) qu'est née la contestation de la guerre du Viet-Nam, les conditions ne semblent pas réunies pour qu'un nouveau mouvement émerge face à la guerre en Irak, même si celle-ci est d'ores et déjà plus coûteuse (en terme de moyens et de vies humaines) que la première. J'avais l'impression de voir l'incarnation de cette société désenchantée où idéalisme et utopies ont laissé la place à un pâle réalisme. On se contente de célébrer les évènements passés, comme si la dynamique des années 70 s'était arrêtée, comme si plus rien n'allait jamais arriver dans ce sanctuaire beatnik et hippie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire