mercredi 17 octobre 2007

Environmental Facts #3 - Les Etats-Unis et le changement climatique

Il fallait bien que j'en parle un jour ou l'autre, et l'actualité me fournit une belle occasion. Même si personnellement je ne suis pas forcément d'accord avec l'attribution du Prix Nobel de la paix à Al Gore, le fait est qu'il l'a eu et que ça fait couler beaucoup d'encre.

Question number one : les américains sont-ils ces gros beaufs incultes que l'on aime à railler, qui n'ont pas la moindre idée de ce que peut être le
global warming ou qui, s'ils en ont entendu parler, le nient bec et ongles ? Réponse : NON. Enfin, non. Enfin je veux dire, oui et non. Enfin je m'explique.
Je suis surpris par l'attention portée au changement climatique, bien supérieure à ce à quoi je m'attendais. Je n'ai pas rencontré un seul américain qui doute de son existence et de ses effets. Dans mes cours et dans ce que je lis, j'ai vraiment l'impression que c'est perçu comme un problème majeur. Mais j'imagine que c'est dû au fait que je suis immergé dans un milieu somme toute pas trop ignare.

Alors qu'en est-il de l'américain moyen ? Après l'annonce de l'attribution du prix à Al Gore, j'ai demandé à Kevin, un de mes colocs, comment réagissait le pays. Réponse : "bof, de toute façon la plupart des gens ne sont même pas au courant et pour eux c'est Jésus qui commande la météo..." Ironie mise à part, il est vrai qu'en juin 30% des américains affirmaient que le changement climatique n'existait pas, et qu'au jour d'aujourd'hui le pays est divisé entre ceux qui applaudissent et ceux qui rient aux éclats.

Il suffit de lire la presse pour s'en convaincre. D'un côté les grands journaux démocrates (New-York Times, International Herald Tribune...) qui sont plutôt contents. De l'autre, ceux qui manifestent ouvertement leur mépris pour Al Gore et le changement climatique. Toujours la même rengaine : Al Gore est un looser et il a perdu les élections de 2000, il n'a rien fait pour la paix, il a une note d'électricité exorbitante et passe son temps à voyager dans des avions polluants, c'est un hypocrite qui ne sait pas de quoi il parle ; avant, le Nobel de la Paix était attribué à de braves gens (Martin Luther King, Mère Térésa), mais après Jimmy Carter et Yasser Arafat, on est tombés bien bas. Je passe sur les innombrables moqueries dont il est l'objet, chose qu'on ne voit jamais - ou alors jamais à ce point - dans la presse française. Une petite citation suffira, issue du
Washington Times, journal notoirement néo-conservateur : "l'ancien Vice-Président des Etats-Unis avait déjà surpassé Michael Moore dans le rôle du plus gros trou-du-cul moralisateur de la planète. Qu'est-ce-que cela va être maintenant qu'il a le Prix Nobel ?"

Evidemment, ce sont les mêmes qui mettent publiquement en doute le changement climatique. On reste souvent coi devant la pauvreté des arguments et la médiocrité de ceux qui les avancent. Ainsi dans le Wall Street Journal, pourtant réputé pour la qualité et l'objectivité de son information, a-t-on pu lire que "96 à 98% des émissions de CO2 viennent de l'environnement, pas des hommes". Encore plus fort, dans le même journal, on vous expliquait en substance qu'Emmanuel Le Roy Ladurie avait écrit un bouquin qui montrait que grâce au réchauffement climatique, Eric le Rouge avait pu conquérir l'Islande et le Groënland et que donc le réchauffement climatique, c'est bien. Mais bien-sûr ; et la marmotte, elle met le chocolat... Enfin la palme d'or revient au Washington Times, déjà cité, pour cet article ô combien hilarant : "il est difficile de voir en quoi
Al Gore contribue à la paix en rendant les humains responsables d'une soi-disant apocalypse imminente, alors qu'il soutient par ailleurs des pratiques criminelles comme la contraception ou l'avortement. [...] En réalité, les désastres environnementaux sont le résultat d'une société qui s'est éloignée de Dieu". Faudra penser à dire au toubib de l'auteur de ce torchon de diminuer un peu la dose.

Alors si vous pensez que ce Prix Nobel va infléchir la politique de cet intellectuel et humaniste nommé George Walker Bush, vous vous fourrez le doigt dans l'oeil jusqu'à la clavicule. Bush est un pur Texan, financé à coups de pétrodollars, il part en guerre - en partie, et j'insiste sur ce point - pour ça et fait du pétrole son cheval de bataille. Ca n'est donc pas à un an de la fin de son mandat qu'il va se dédire et jeter aux orties la jolie toile que lui et ses potes néo-cons ont mis 7 ans à tisser. Mais au-delà de ça, il faut aussi savoir que le clan républicain nourrit une haine viscérale envers Al Gore. Je m'appuie sur un article du New-York Times pour l'expliquer à ceux qui sont arrivés jusque là.
Cette dénigration hystérique est d'abord venue de la volonté des républicains de légitimer Bush après son élection volée.
Elle vient aussi du fait que jusqu'ici Al Gore a toujours eu raison lorsqu'il s'est opposé aux républicains. En 1992, Bush se moquait de celui qu'il appelait "Ozone Man" mais 3 ans plus tard, le Prix Nobel de chimie a été remis au découvreur du trou dans la couche d'ozone. En 2003 Al Gore affirmait que la guerre en Irak poserait plus de problèmes qu'elle n'apporterait de solutions, chose incontestable aujourd'hui.
On peut également évoquer le fait qu'après l'avoir battu en 2000, Bush découvre qu'ils ont suivi des trajectoires opposées et que c'est finalement lui, Al Gore, qui est en passe de rassembler le pays et de gagner sa croisade, d'où une énorme frustration.
Mais le noeud gordien du problème, c'est que clamer haut et fort que les activités humaines détraquent le climat, c'est plus qu'une "Vérité qui dérange" : pour les conservateurs, c'est une trahison. Aujourd'hui, "être un bon républicain, ça veut dire croire que les impôts devraient toujours être baissés, jamais augmentés ; et qu'on devrait bombarder et brutaliser les pays étrangers, et non pas négocier avec eux". C'est un peu extrême car ça vient du New-York Times, mais c'est intéressant.

Voilà pour la situation actuelle et les réactions au Prix Nobel d'Al Gore. Maintenant que va-t-il se passer ? Les élections présidentielles auront lieu dans un an. Chez les démocrates, Al Gore ne se présentera probablement pas. Les candidats favoris à l'investiture, Hillary Clinton et Barack Obama, font du changement climatique une de leurs priorités. Côté républicains, on est évidemment moins réceptifs, à l'exception de John Mc Cain tout acquis à la cause. Derrière, Mitt Romney, Fred Thompson et surtout Rudolph Giuliani, cet espèce de connard Sarkophilo-francophobe, sont un peu à la traîne mais pas aussi fermés que leur illustre prédécesseur. Donc le débat existe, mais il porte moins sur l'impact des activités humaines sur le climat que sur la manière de gérer tout ça.

Alors justement, comment tout ce petit monde compte-t-il s'y prendre ? C'est là que la bât blesse (à mon sens), car si on peut légitimement se réjouir d'une prise de conscience, on retombe vite sur terre quand on voit comment l'action est envisagée concrètement. J'ai assisté à une table ronde sur ce sujet samedi dernier avec notamment Thomas Friedman, plume-star du New-York Times, triple prix Pulitzer et spécialiste incontesté des questions d'environnement. Je lis tous ses billets, et je peux vous dire qu'il a oublié d'être bête. Et il parle aussi bien qu'il écrit. Pourtant même une bonne âme comme lui m'a fait des frissons dans le dos. Voilà pourquoi.

D'abord, pour faire simple, ici tout est vu à travers le prisme du leadership des Etats-Unis ; tout est pensé en termes de retombées pour les Etats-Unis. Le changement climatique est autant un problème d'environnement que d'économie, et tant mieux si les produits verts préservent la planète au passage, mais ils nous auront surtout permis d'accroître notre leadership. On se fout plus ou moins de ce qui peut déjà se faire dans les autres pays et notamment en Europe, puisque les Etats-Unis vont trouver la solution à tout et tout seuls. J'ai vu cette arrogance à l'oeuvre, même dans un problème aussi global que le changement climatique. J'ai entendu cette sempiternelle rengaine des valeurs américaines universelles, de la nécessité de ne pas se défausser du rôle de gendarme du monde, de la volonté de make the world a better place et patati et patata... De la part de démocrates, cela m'étonne et m'effraie tout à la fois.

Ensuite, parce qu'on a peur de la Chine. Ca la Chine c'est le gros problème des Etats-Unis et elle leur fait PEUR ! Toutefois ils s'y raccrochent autant qu'elle les effraie puisque c'est leur premier bailleur de fonds ; et un tel grand écart, à force, ça fait mal aux c*******. Donc développer des technologies vertes, c'est prendre un avantage concurrentiel stratégique sur un pays qui ne développera certainement pas ces technologies tout seul et qu'on aura la possibilité d'inonder par la suite, fût-ce par la force.

Enfin, parce que les américains sont totalement stupides dans leur manière de raisonner et que le seul but des gens qui s'intéressent au réchauffement climatique, c'est de faire en sorte qu'on consomme autant (sinon plus) avec des technologies moins polluantes. Ca me frappe systématiquement quand je lis des documents sur le sujet : ils ont l'air d'être trop cons pour réaliser que le meilleur moyen de polluer moins, ça pourrait être de consommer moins. Mais pour qu'ils comprennent ça il va encore falloir que de l'eau coule sous les ponts.

En conclusion, les américains se préoccupent de plus en plus du réchauffement climatique malgré des gens qui remettent toujours en cause son existence - souvent des profs en mal de reconnaissance financés par des lobbies pétroliers. Mais quand bien même Al Gore serait élu président, je ne suis pas forcément convaincu du succès d'une révolution verte à la sauce Uncle Sam, et encore moins des bénéfices nets que l'humanité pourrait retirer d'une telle initiative...

6 commentaires:

Anonyme a dit…

"ils ont l'air d'être trop cons pour réaliser que le meilleur moyen de polluer moins, ça pourrait être de consommer moins."
C'est pas comme si c'était une considération exclusivement américaine, tu connais beaucoup de gens en France capables de remettre en cause leur mode de consommation pour réduire les émissions de CO2 ? Perso j'en vois peu...

Stanford Psycho a dit…

De la part d'un particulier c'est compréhensible ; de la part d'un gouvernement c'est scandaleux et c'est d'eux que je parlais. Je te rapelle qu'en France on a l'ADEME chargée spécialement de faire campagne dans ce comaine !

Unknown a dit…

Ma chère Pompe, c'est toi qui devrait avoir le Pullitzer! :)

J'avoue cependant ne pas être surpris par ce que tu dis...

Bécots

Anonyme a dit…

Ma perception est globalement la même que la tienne. Concernant le réchauffement climatique, je pense qu'il ne faut tout de même pas oublier qu'on vit dans un microclimat en Californie et surtout à San Fransisco (plus forte concentration de diplomés master ou plus aux USA). L'américain moyen est beaucoup plus incrédule, à la limite prêt à y croire du moment qu'on l'empèche pas d'aller au mall et au match de foot avec sa bagnole ou de laisser la lumière de sa baraque allumée pour décourager les voeurs. Le pékin du Texas ou de l'Oklahoma y croit autant qu'à la théorie de l'évolution...au final, tous devront se plier à la réalité donc je ne me fais pas trop de souci de ce coté (les américains sont très pragmatiques).
Mais je pense que le plus préoccupant est en effet la façon dont les gens éduqués voient le problème. Ils cherchent en quelque sorte à aménager la situation sans remettre en question les principes sacro-saints. C'est frappant en transports où on peut proposer ce que l'on veut, à condition de ne pas gêner les voitures (à tel point que construire des ronds-points dans les zones résidentielles pose d'énormes problèmes car ça "ralentit" les voitures)...Au final, les politques menées sont souvent un gigantesque gachi d'argent public car elles sont totalement efficace avec comme corrolaire que les gens font encore moins confiance au public et préfère laisser le marché décider "optimalement"...Le cercle vicieux est enclenché. Dernier facteur aggravant : bien au delà de ce qu'on peut observer en France, le boulot de beaucoup d'hommes politiques consiste à faire un compromis entre leur réélection (faire plaisir aux gens ou leur faire croire) et l'argent qu'ils peuvent tirer de leur pouvoir (se faire corrompre par des groupes de pression)...Scwarzi a bien compris qu'on pouvait faire des voix avec le réchauffement climatique, mais il a apparemment pas encore décidé de passer aux actes puisqu'il bloque de nombreux projets succeptibles d'améliorer la situation...Ceci dit, l'avenir n'est pas si sombre...Comme disait un mec de Caltrans "il faut juste un peu de temps pour que tout le monde comprenne quelle est la bonne politique"....

Stanford Psycho a dit…

Merci Steph pour ces remarques éclairantes. Reste à savoir quelle est l'échelle de temps ici.
En tout cas on est au moins deux à penser la même chose !

Anonyme a dit…

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