lundi 11 août 2008

Wall-E ou l'optimisme

On pourrait écrire des centaines de pages sur le dernier Disney-Pixar, à voir de toute urgence si ça n'est pas déjà fait, d'abord parce que c'est fantastique, et ensuite pour ne pas me laisser vous divulguer trop de détails du film avant de l'avoir vu. Le film est un succès historique, qu'on se base sur les critiques ou sur le box-office. Je ne reviendrai pas sur les 97% d'opinions positives sur Rotten Tomatoes ni sur la réception enthousiaste dans le reste du monde. J'ai juste envie de parler un peu de ce film fabuleux que je suis allé revoir hier soir sans manquer d'évoquer les très désopilantes critiques conservatrices à son propos.

J'ai été grisé par cette petite merveille, ému par son esthétique, transporté par sa technique et enthousiasmé par sa morale, même si Andrew Stanton - son créateur - se défend d'avoir voulu faire passer un message autre que cette interrogation : "que se passerait-il si l'humanité évacuait la Terre en oubliant d'éteindre le dernier robot ?" Pourtant il en va du cinéma comme de la littérature : l'auteur propose, le lecteur dispose ; il demeure libre d'entendre dans chaque œuvre le message qui lui sied, fût-il délivré (comme dans Wall-E) dans un silence assourdissant. Tellement assourdissant que certains, aux Etats-Unis, en ont avalé leurs popcorns de travers, et c'est là que ça devient rigolo ! Mais chaque chose en son temps, revenons au film pour commencer.

Qui eut cru qu'un film d'animation, muet qui plus est, pourrait offrir une telle palette d'émotions humaines ? La première demi-heure dépeint de manière impressionniste la morne vie d'un robot facétieux, allégorie de la solitude sur une terre désolée. Le caractère du personnage contraste avec le lugubre de la situation : la bouffonnerie de Chaplin est mêlée à la gravité de Keaton dans un aggiornamento magistral du cinéma muet. L'histoire d'amour entre un vieux robot crasseux et une jeune bimbo carénée comme un iPod apporte de la tendresse au film sans le rentre mièvre. La Belle et le Clochard revisité.


Wall-E est également un syncrétisme de la littérature contre-utopique et de la philosophie de l'hybris, le tout baigné de science-fiction inspirée des plus grands. La Terre étant devenue trop polluée pour être habitable, l'humanité l'a désertée et attend des jours meilleurs à bord de l'Axiom, savant mélange d'Arche de Noé, de contre-Abbaye de Thélème, de Ferme des Animaux et de Meilleur des Mondes condensés dans un vaisseau évoquant 2001, l'Odyssée de l'Espace. Le passage en revue de la galerie de portraits des capitaines suffit à raconter la dérive d'une humanité abandonnée depuis 700 ans à sa seule oisiveté sous l'œil bienveillant de Buy'N'Large, compagnie-monde régulant la vie de ses sujets.

Dans cet univers stérile et robotisé, point n'est de place pour l'aventure humaine : pas de culture, pas de dialogue autre qu'à travers des écrans d'ordinateurs, et surtout pas d'amour - présenté comme quintessence de l'humanité par la comédie Hello Dolly que notre robot se passe en boucle ; leitmotiv de la consommation et euphorie de l'éternel recommencement ("aujourd'hui, comme tous les jours, le temps est ensoleillé") ; apathie d'une masse humaine flasque et adipeuse, livrée en pâture à la tornade publicitaire, dénuée de libre-arbitre et esclave d'un système pouvant fixer la couleur des vêtements à la mode et décider de changer le dîner en breakfast.

Les absurdités d'une société mercantile et aliénée ont souvent été décrites dans la littérature ; rarement ont-elles été transposées à l'écran avec autant de vigueur tout en étant délicieusement teintées d'humour. L'irruption des "humains" dans le film fait éclater le message philosophique sur l'illusion du consumérisme et la perte du lien social à grands renforts de situations burlesques, de Mary ("je ne savais pas qu'on avait une piscine ici !") au capitaine qui s'émerveille en découvrant la danse, la mer et la végétation. Les balbutiements des êtres humains arrachés à leurs fauteuils autoporteurs prêtent à sourire, peut-être pour mieux donner à voir en creux les vices de notre société actuelle.

Comme Le Meilleur des Mondes Wall-E montre ce que serait cette dictature parfaite, cachant sous des airs aimables une prison dont les prisonniers, enchantés de consommation et de divertissement, ne songeraient pas à s'évader. L'échelle du temps qui prend pour base le début de la croisière spatiale évoque les années comptées "après Notre Ford" dans le roman d'Huxley, insistant sur la fin de l'histoire et l'ancrage de la vie dans un présent perpétuel.
À 1984 d'Orwell, Wall-E emprunte le personnage de Big Brother qui prend pour l'occasion des airs de Hal (le pilote automatique dans 2001, l'Odyssée de l'Espace). Le capitaine McCrea, un temps jouet du système, est une allusion à peine voilée à George W. Bush, face émergée d'un iceberg qui l'a porté au pouvoir et qui décide en son nom : dans la version américaine le président de BNL, lorsqu'il annonce la prise de contrôle du pilote automatique, s'adresse au capitaine en disant "Stay the course", phrase prononcée à de multiples reprises par Bush entre 2003 et 2006 et incarnation de son entêtement à poursuivre la guerre en Irak. Puis le capitaine, charmé par l'idée d'un retour sur la Terre, se métamorphose en un Winston Smith rebelle au système ("je ne veux pas survivre, je veux vivre !") et dont l'acte de bravoure, sur fond d'Ainsi parlait Zarathoustra, est tout droit sorti de 2001, l'Odyssée de l'Espace.

Bien évidemment une critique aussi féroce du mode de vie occidental et plus spécifiquement américain (puisque le film se veut exclusivement centré sur les Etats-Unis) allait faire grincer des dents, en l'espèce celles des "conservateurs" qui nous vomissent leur logorrhée puérile et surannée à propos de cette "propagande gauchisante sur les méfaits de l'humanité" (Shannen Coffin). Les Pangloss abondent pour qui la situation sociale et environnementale est pour le mieux dans le meilleur des mondes ! "C'était comme un cours de 90 minutes sur les dangers de la sur-consommation, des grosses entreprises et de la destruction de l'environnement", écrit Greg Pollowitz sur Planet Gore. Et oui mon gros, et vue ta réaction, je crois qu'il va encore en falloir un paquet ! "Vous aimerez le film seulement si vous pensiez qu'une vérité qui dérange valait un Oscar". "L'histoire était horrible. Content de voir que Disney et Pixar peuvent faire des méga-millions en nous disant combien nous sommes cupides, fainéants et destructeurs", peut-on lire sur The Corner. Eh coco, au lieu de t'interroger sur ce que Disney va faire de ses sous, tu ne pourrais pas t'interroger plutôt sur ce que tu devrais - ou plutôt ne devrais pas - faire des tiens ?

Beaucoup sont amers d'être confrontés à ce qu'on peut objectivement appeler une caricature de leur mode de vie actuel, comme un blessé de guerre qui découvrirait horrifié sa cicatrice putréfiante. Toutes les vérités ne sont apparemment pas bonnes à dire, surtout pour les intégristes de l'American Way of Life et de l'économie de marché qui ne supportent pas de voir ridiculisé leur canon du bonheur - bien que Wall-E soit loin d'être aussi culpabilisant que le film d'Al Gore. Oser avancer que le nirvana ne se réduit pas à 18 choix d'arômes de popcorns et que la liberté n'est pas soluble dans le Coca-Cola est apparemment "An Inconvenient Truth" !

Le ressentiment est également fort envers Disney, accusé (à raison, il faut bien l'avouer) d'hypocrisie en vivant de l'aliénation des masses et du consumérisme qu'il a beau jeu de dénoncer. Soit. Mais de là à avancer, comme certains, que la couleur rouge des vêtements de ceux qui sont "libérés" prouve que Wall-E est un film fasciste et de propagande, il y a un monde ! Au moins les personnes ayant des choses à se reprocher se sont-elles senties visées, et toutes ces réactions épidermiques à l'urticant Wall-E resteraient comiques si la situation réelle n'était pas inquiétante.

Heureusement les réactions intelligentes abondent. Je retiendrai celle de Maura Judkis qui se demande si Wall-E va rendre les Etats-Unis plus verts. Ou encore celle de Frank Rich dans le New-York Times qui se demande judicieusement si Wall-E ne serait pas, finalement, plus patriote que les deux candidats à la Maison Blanche en parlant franchement de ce qui ne va pas aux Etats-Unis (le débat sur le patriotisme d'Obama fait rage à l'heure actuelle). "Comparez 10 minutes du film avec 10 minutes de n'importe quelle chaîne câblée d'information, et vous vous demandrez rapidement : qui exactement sont les adultes dans notre pays et qui sont les personnages de dessins animés ?"

Un dernier mot sur le film. C'est une petite plante insignifiante qui représente le symbole du retour possible de l'humanité sur sa planète. Alors que la conscience des problèmes environnementaux s'éveille, on ne pouvait trouver plus beau symbole pour incarner le futur de l'espèce humaine, un futur fait d'émerveillement devant des beautés simples et authentiques plus que devant les artifices de l'ère du vide, et de respect mutuel plutôt que de destruction méthodique.
Et puisque la plante est l'avenir de l'homme, le film s'achève sur le même message que Candide : "il faut cultiver notre jardin". Wall-E ou l'optimisme. Somptueux.

2 commentaires:

Paul Cormier a dit…

u t'es fait plaisir la Julien!
pour avoir vu le film j ai passe un excellent moment egalement. Film a la fois interessant et amusant, que du bonheur qui change des superproductions americaines du moment (Hancock, Wanted) qui laissent a desirer. Par contre, Batman excelent egalement a voir absoluement!

July a dit…

Whaouuuuuuuu ! Too cute Wall-E, moi aussi j'ai adoré et je suis ravie de lire ton article pour revivre le film :-) et y réfléchir un peu plus encore.

Très bel article sinon ! Chapeau !